Quentin Houdas, photographe portraitiste

30 avril 2014


 

▪ Salut Quentin, pourrais-tu nous présenter le parcours qui t’a conduit à devenir photographe portraitiste ?

Quand j’ai eu 14 ans, je suis parti à Tournai (Belgique) rejoindre les bancs d’une école technique spécialisée en Art. Là-bas, j’ai commencé l’apprentissage du dessin et j’ai expérimenté la photographie pour la première fois.

J’y suis resté jusqu’à l’obtention d’un bac spécialisé en art conceptuel en me rendant compte, au bout de 6 ans là-bas et une quinzaine d’heures de dessin par semaine, que je manquais cruellement d’enseignement théorique. Pour me positionner vis-à-vis de ma pratique, je ressentais le besoin de comprendre l’Histoire de l’art et ses enjeux.

La suite logique était alors de rejoindre Paris et de débuter une Licence en Histoire de l’Art à la Sorbonne. Les cours étaient très méthodiques, une vraie difficulté pour moi au regard de mon parcours technique. A ce moment là j’avais arrêté complètement la pratique et je réfléchissais à des pistes de carrière dans la presse, la culture, voir le commerce de l’art.

Mais petit à petit, j’ai senti le besoin de créer des images et j’ai rapidement obtenu mon premier Réflex. Sans vraiment savoir comment m’en servir, je me suis mis à shooter tout ce que je voyais dans la rue en apprenant sur le tas à manipuler l’appareil.

A partir de là, j’ai réalisé une première exposition sur la vie parisienne en général qui s’est tenue au Bistrot des Artistes. C’était une exposition avec des photos que l’on pourrait rapprocher de la photographie humaniste dans le style de Willy Ronis, Diane Arbus, Lisette Model… Je me rends compte maintenant que ce n’était pas très moderne ni vraiment original, mais j’étais en train de me faire une culture photographique.

Ce fut une superbe opportunité car Adrien GOETZ (ndlr : historien de l’art et écrivain) m’a acheté une photographie et m’a ensuite mis en relation avec le photographe Jean-Philippe BALTEL. Je lui ai montré mon book rempli de petites scènes parisiennes et j’ai fini par devenir son assistant.

C’était vraiment quelque chose… Je n’avais jamais mis les pieds dans un studio photographique, je ne connaissais rien au métier et je me suis retrouvé sur d’énormes plateaux de shooting. Une vraie formation sur le tas.

S’en est suivie une seconde exposition au Bistrot des Artistes avec cette fois-ci une série de photographies intitulée Les Pleureurs. Quelque chose de très brut, au flash, presque violent, avec beaucoup de matière, des carnations rougeâtres et douloureuses, des fluides… Ce fut une production très personnelle. Dans le même temps, j’ai remporté le Prix spécial du jury pour un nu que j’avais proposé au concours photo organisé par la Sorbonne. Le choix du portrait a été finalement assez naturel.

J’ai achevé ma Licence et j’ai commencé à ne plus faire que des portraits, essentiellement de mon entourage : une période d’apprentissage nécessaire. J’ai ensuite obtenu une maitrise en art contemporain et photographie, une formation très théorique également. Parallèlement à mes études, j’ai toujours travaillé inlassablement à produire de nouvelles images et surtout à me documenter et à construire mon regard afin de déconstruire mes premiers automatismes.

 

 

▪ Ton travail est très distinctif, quelles sont tes influences ?

La caricature, la satyre politique… ce sont les premières images qui m’ont marqué. D’ailleurs, fin 2013 j’ai contacté la rédaction de Charlie Hebdo pour leur proposer mes services et ils ont accepté que je prenne leur portrait ! C’était vraiment un rêve de gosse, ma culture visuelle vient en partie de cet hebdomadaire.

Autrement, je pense aux Têtes de suppliciés de Géricault et au travail de la chair par Lucian Freud… Finalement, j’aime quand il y a de la pâte et des « défauts ». Leur travail rappelle que nous sommes friables, en danger, sensibles, et non pas de simples consommateurs.

 


 

Je ne nettoie pas systématiquement mes photos par exemple, j’aime les anfractuosités et les marques du temps et la manière très particulière qu’à la photographie de pouvoir parler de la vanité en faisant appel aux notions de souvenir, de perte et de désenchantement.

Initialement, j’ai un dessin très classique et j’ai beaucoup de mal à m’en détacher. A contrario, la photographie m’offre plus de liberté d’expression.

J’ai été imprégné par le portrait en peinture classique : les poses, les regards mélancoliques. Par exemple le travail d’Ingres, dont les portraits sont classiques à l’extrême, névrotiques et les poses inadaptées au monde réel.

Sans parler de Madame Récamier de David, j’adorerais reproduire ce portrait en photographie. Il faut trouver le bon modèle, Madame Récamier possède une vraie prestance, un regard fort et paradoxalement une attitude toute virginale, comme perdue.

 

▪ Tu as travaillé auprès d’Olivier Roller pour son exposition Les Figures du pouvoir, peux-tu nous en dire plus sur cette expérience passée à ses côtés ?

Je connaissais déjà le travail d’Olivier Roller avant de travailler pour lui en tant qu’assistant. Notre collaboration devait durer 5 semaines pour finalement s’achever au bout de 5 mois !

Il travaille sur les figures du pouvoir : politiques, philosophes, médecins, militaires, et même sa propre mère… Mon rôle était de lui apporter des réflexions théoriques en lui rédigeant des textes sur la présentation de son travail dans le cadre d’expositions à venir, mais aussi sur la question du pouvoir et la tension entre le photographe et le modèle. Ce sont également des questions que je me pose alors ce fut une expérience très enrichissante.

 

 

▪ A ce propos, le contact doit être très particulier entre le photographe et ceux qui passent devant son objectif. Comment définirais-tu la nature de cette relation ?

Il faut créer un cadre, une intimité. Mais souvent c’est une intimité de façade, tout dépend de notre relation avec la personne qui vient se faire photographier et du temps qui nous est accordé. Il existe bien sûr un rapport de force car le photographe possède l’appareil, un objet mécanique assez violent avec un œil cyclopéen qui nous cache le visage. On l’actionne et le modèle peut avoir l’impression d’être dépossédé de son image.

Il y a toujours une tension entre la personne qui souhaite parfois être représentée de la meilleure manière possible et le photographe qui va essayer de la représenter sans vraiment la connaître, en suivant sa propre voie. D’où un rapport de pouvoir délicat à gérer.

Parfois, certains modèles donnent beaucoup tandis que d’autres ne partagent rien et restent statiques. Il faut alors essayer des les guider, de les faire réagir, finalement c’est le modèle qui réalise une grande part du travail.

Une photographie est prise en 1/125ème de seconde et c’est avec cette image qu’il faut créer une mythologie de la personne. On joue avec l’image du modèle, on essaie de s’en faire une idée via la photo mais elle ne représentera jamais sa vérité.

 
 

« C’est son regard, sa morphologie, sa façon de se tenir et de mettre sa main dans sa poche. Mais ce que j’ai créé ne sera jamais rien de plus qu’une représentation et le modèle n’aura jamais aucun droit de regard sur cette image là. »

 

Voilà pourquoi on parle de tension.

 

La photographie n’est qu’une représentation, comme n’importe quelle autre médium, elle travestit la réalité, son sens dépend du contexte dans lequel elle est perçue.

 

▪ Dernièrement, tu as réalisé l’exposition Spectateurs présentée au Louxor en collaboration avec la photographe Karen Assayag. Peux-tu nous raconter comment est né ce projet et comment s’est déroulée la rencontre entre Karen, le Louxor et toi?

J’ai rencontré Karen Assayag à l’université, on a monté une association et on souhaitait exposer ensemble des portraits. Karen connaissait très bien le Louxor, alors on a proposé à ce cinéma un partenariat pour prendre des portraits de son public pendant un mois et demi fin 2013.

L’idée de cette exposition était de répondre à la question : A quoi ressemblent les spectateurs du Louxor ? Le Louxor est un cinéma d’art et d’essai situé dans le XVIIIème arrondissement. Naïvement je pensais que les gens de ce quartier multiculturel et populaire allaient se retrouver au cinéma. J’ai été très surpris en m’apercevant que le Louxor ne touchait qu’une seule et même catégorie sociale. Cependant, c’est ce qui a pu aussi faire son intérêt et l’exposition fut une réussite.

 

 

▪ Quels sont tes projets aujourd’hui et à quoi aspires-tu pour les prochaines années ?

 

Vivre de ma photo et avoir une rolex à 50 ans (rires !).

 

Idéalement, je voudrais poursuivre dans le portrait de presse. J’aimerais aussi beaucoup expérimenter le nu, mais il faut encore que je réfléchisse à ce projet pour ne pas faire n’importe quoi. Autrement, je souhaiterais faire une série sur les ouvriers que l’on retrouve encore très tôt au comptoir des cafés : donner de la visibilité et de la valeur à la classe ouvrière qui a disparu des médias.

 

Finalement, j’ai envie de photographier les gens « invisibles », ces personnes, parfois marginales, mais qui sont trop peu représentées.

 

A contrario, pourquoi ne pas aussi photographier des personnes très riches qui ont eux une véritable conscience de classe et une iconographie intéressante à représenter ?

 

Mais c’est très compliqué de rencontrer des gens aussi loin de son propre milieu. Il faut garder beaucoup d’humilité et abandonner toute condescendance. Ca serait très intéressant par exemple de travailler avec des gens en banlieue, mais il doit y avoir un réel projet derrière : Comment les photographier ? Que peuvent-ils dévoiler ?…

Et encore, il faudra mettre ces portraits en valeur. Mais comment ? Si c’est pour les exposer dans une galerie parisienne, il n’y a plus aucun sens. Pour autant, c’est un travail qui doit être visible mais qui apporte plein de contradictions.

 
 

Pour en savoir plus sur Quentin Houdas, faites un tour sur son site professionnel : ici

Tous les visuels présents dans cet article sont la propriété de © Quentin Houdas